
Une contribution de Khider Mesloub – «En passant à l’anglais, l’Algérie commettrait la deuxième plus lourde erreur de son histoire, après celle de 1962 lorsqu’elle s’était jetée dans les bras de l’URSS», estime l’anticommuniste primaire llyes Zouari, le président du Centre d’étude et de réflexion sur le Mondefrancophone (CERMF), une officine néocoloniale qui œuvre à la défense de l’impérialisme français sous couvert de francophonie.
Ces propos ont été tenus dans un entretien de cet essayiste tunisien avec une chaîne YouTube dirigée par l’autre agent de l’impérialisme français Abdou Semmar, connu pour sa proximité avec le régime des généraux génocidaires de Tel-Aviv et le royaume médiéval alaouite.
Et Zouari d’affirmer péremptoirement : «L’Algérie va détruire son avenir si elle remplace le français par l’anglais.»
Pour rappel, le cassandre Ilyes Zouari n’est pas à sa première prédiction apocalyptique sur l’Algérie. Déjà en 2023, dans une tribune, il prédisait un avenir cataclysmique à l’Algérie, après avoir affirmé que «l’Algérie est devenue le pays le moins riche du Maghreb». Il concluait son article par ce pronostic catastrophiste : «L’Algérie risque un effondrement et la faillite à l’horizon 2029.»
Le mercenaire francophile tunisien est un piètre prospectiviste. Pire, c’est un mauvais analyste. S’il y a un pays qui risque un effondrement et une faillite manifestes, non pas à l’horizon de la décennie prochaine, mais aujourd’hui, c’est bien la France.
Cela dit, pour revenir à son entretien diffusé sur la chaîne YouTube Algérie Part, à l’entendre le français serait le sésame de la réussite scolaire de l’Algérie, au-delà duquel il n’y a point de salut. Le français serait la langue de l’épanouissement intellectuel et du développement économique.
Comment Zouari peut-il proférer de telles allégations au moment où le système éducatif français est en pleine déliquescence, fabrique des analphabètes. Au moment où le pays de Molière s’effondre économiquement ? La France, dont l’enseignement est pourtant dispensé exclusivement en français, détruit, non seulement l’avenir des élèves, mais également l’avenir de son économie. Au point de jeter ses dirigeants et ses citoyens dans les bras du fascisme, le racisme, l’islamophobie, le populisme. Drôle de langue qui ne prémunit pas ses locuteurs de l’effondrement moral, ni son économie de la débâcle.
N’en déplaise au propagandiste idéologue libéral Ilyes Zouari, l’école française est devenue une structure de décervelage et l’antichambre de France travail (chômage). La France, pays des Lumières, longtemps dotée d’une langue lumineuse, aujourd’hui sombre dans la médiocrité. Son système scolaire est en faillite. Sa population verse dans l’obscurantisme politique, l’intégrisme populiste. Son Etat, dans le racisme institutionnel et le bellicisme international. La langue française, hier langue des révolutionnaires, est devenue l’idiome des réactionnaires. Hier langue du progrès, elle est devenue parlure de la régression.
Le français : langue coloniale hégémonique
Raison de plus pour bannir cette langue des écoles algériennes car elle est associée, désormais, au déclin culturel et à l’effondrement économique de la France.
C’est la politique adoptée par les autorités algériennes : le bannissement progressif du français de l’enseignement et de la société.
En effet, dans le cadre de la politique d’arabisation et de la généralisation de l’anglais dans l’enseignement, en particulier du secteur scolaire privé, le français est abandonné.
L’apprentissage de la langue française recule tandis que l’anglais gagne du terrain dans les écoles algériennes. Des réformes éducatives ont baissé le volume horaire consacré au français, passé de quinze à onze heures par semaine dans l’enseignement primaire. Cette rentrée 2025, les facultés de médecine et de pharmacie ont même échangé le français pour l’anglais. En 2023, les autorités algériennes avaient déjà interdit l’application du programme scolaire français dans les écoles privées.
Au-delà du système éducatif algérien qui jette au rebut la langue de Molière, tout le pays est en train également de troquer le français pour l’anglais. La compagnie aérienne Air Algérie a récemment pris la décision d’imprimer ses billets en anglais et en arabe. Et plusieurs entreprises nationales ont adopté la même mesure de substitution du français par l’anglais. Ainsi, lentement mais sûrement, méthodiquement, l’Algérie évince du pays le français.
Pour mémoire, historiquement, à l’époque coloniale, en Algérie colonisée le français était l’unique langue enseignée dans le système éducatif. A l’indépendance de l’Algérie, l’emprise linguistique et culturelle française perdure durant les deux premières décennies, au cours des années 1960-70. Cette emprise se manifeste par l’imposition du français comme langue d’enseignement et l’exportation de programmes scolaires calqués sur le modèle métropolitain. En dépit de l’arabisation de l’enseignement, la domination de la langue française perdure encore au cours des années suivantes, notamment sous forme de coopération éducative, en particulier parmi les élites algériennes francophones et francophiles qui inscrivent massivement leurs progénitures dans les écoles privées dispensant un enseignement en français. Depuis l’indépendance, les écoles françaises, l’attribution de bourses et le financement d’institutions culturelles ont constitué les leviers principaux de cette influence postcoloniale que l’Algérie a commencé, ces dernières années, d’abord à limiter, puis à supprimer de son paysage éducatif et culturel.
Cela étant, la récente mesure d’interdiction de toute aide française aux écoles privées algériennes s’inscrit dans un contexte plus large de redéfinition de la politique éducative algérienne et de distanciation progressive vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale.
Sans surprise, l’interdiction de toute aide française aux écoles privées algériennes dispensant un enseignement en français a suscité de vives réactions des deux côtés de la rive méditerranéenne. En particulier parmi l’élite algérienne francophone, qui désapprouve cette interdiction. Et pour cause ! Elle la prive désormais de ce «visa-scolaire-permanent» permettant à sa progéniture de faire carrière en France, leur véritable pays de cœur, l’Algérie étant considéré comme un simple pays de transition.
Historiquement, la langue française a toujours été, non pas l’héritage de l’Algérie, mais l’apanage d’une certaine élite algérienne, arrogante et orgueilleuse. Par ailleurs, ces intellectuels algériens francophones reprennent à leur compte ce vieux mythe répandu par les ex-colonisés francophones d’après lequel en s’affranchissant de la colonisation française, c’est-à-dire en devenant politiquement indépendants du pouvoir métropolitain, les ex-colonisés francophones se seraient automatiquement libérés, et de l’idéologie bourgeoise associée à la francophonie et de la tutelle de l’ancienne puissance coloniale. Une chose est sûre, la maîtrise de la langue française ne confère pas au locuteur francophone algérien la souveraineté identitaire et culturelle, encore moins elle lui permet de se réapproprier ses racines.
Quoi que l’on puisse dire à propos d’une langue, à plus forte raison d’une langue coloniale hégémonique comme le français, elle ne se cantonne pas à un système de communication. Elle véhicule aussi une culture, renvoie à une histoire et influence la pensée. Influence culturelle qu’elle continue d’exercer par-delà l’époque coloniale. Notamment en Algérie parmi les élites intellectuelles, les politiciens, défenseurs acharnés de la langue française.
«La langue française est notre butin de guerre»
Sans conteste, la langue, en fonction de son contenu philosophique et politique et des forces économiques qui la portent, peut se révéler réactionnaire ou révolutionnaire.
Pour justifier leur défense de la langue française, les élites et politiciens algériens ont toujours argué qu’il s’agit d’un «butin de guerre», selon la formule de Kateb Yacine, leur parangon. Une chose est sûre, s’il y a «butin linguistique français», c’est un butin qui ne profite qu’à une petite caste d’intellectuels, d’hommes politiques et d’affaires, de cadres et d’universitaires. Un riche butin que ces élites algériennes francophones et francophiles ne manquent pas de monnayer et de le faire fructifier dans leur commerce néocolonial en expansion.
Ironie de l’histoire, le paradoxe c’est que, au cours des 132 ans de colonisation, l’Algérie n’a jamais été francophone. Les Algériens étaient exclus et du système scolaire et de l’espace politique colonial français.
En réalité, la francophonie, au sens linguistique du terme désignant l’ensemble des citoyens libres et des institutions indépendantes qui utilisent le français comme langue d’usage, d’enseignement et de l’administration, a été instauré concrètement au lendemain de l’indépendance de l’Algérie en 1962. Par la minoritaire élite francophone. D’aucuns diraient francophiles. La «francisation» scolaire et administrative des Algériens a commencé en 1962. Elle est l’œuvre du nouvel Etat indépendant algérien. Autrement dit, au cours des années 1960-80, l’Algérie indépendante aura mieux développé la langue française que la France coloniale. Ne pas perdre de vue qu’en 1962, à l’indépendance de l’Algérie, 92% de la population étaient analphabètes.
Cependant, contrairement à ce que laisse entendre nombre d’intellectuels algériens, les Algériens, en devenant indépendants, ne sont pas devenus propriétaires de la langue de leurs anciens maîtres. La langue du colonisateur demeure la propriété de la France, des Français. Les Algériens bénéficient seulement de l’usufruit de la langue de Molière. Ils disposent du droit d’usage de la langue française sans avoir le titre tricolore de propriété.
D’ailleurs, les élites intellectuelles et culturelles de l’Hexagone ne sont nullement dupes de cette prétention des ex-colonisés de s’attribuer les mérites de l’usage de la langue française. En France, les élites comme la classe politique établissent systématiquement une distinction entre la littérature «française» et la littérature «francophone». La première renvoie aux œuvres littéraires produites par les écrivains français de souche, la seconde désigne les productions littéraires des écrivains allogènes originaires du Maghreb et de l’Afrique. Notamment d’Algérie. En tout cas, la langue française ne peut être considérée comme un butin de guerre, mais plutôt un levier de domination culturelle, politique et économique.
Pour rappel, c’est à Kateb Yacine que l’on doit la popularisation de cette spécieuse formule proférée sous forme de slogan, de tirade théâtralement débitée : «La langue française est notre butin de guerre.»
Son impertinent cri de ralliement s’adressait assurément à ses congénères lettrés vivant dans leur tour d’ivoire, c’est-à-dire la petite caste d’intellectuels francophones fabriquée par la France coloniale par la grâce de la langue d’allégeance : le français. Car ce slogan ne pouvait concerner les 92% d’Algériens analphabètes, pour qui le français était personnifié par le colon, incarné par Bugeaud et Bigeard, et non pas par Molière et Victor Hugo.
Kateb Yacine devait avoir une mentalité de pauvre pour s’imaginer riche avec son dérisoire «butin de guerre» concédé mesquinement par la France coloniale. Tout comme le mercenaire francophile tunisien Ilyes Zouari est persuadé appartenir à l’élite intellectuelle et culturelle française par le seul fait de sa maîtrise de la langue de Molière.
En fait, dans le cas de ces élites algériennes francophones, au vrai il ne s’agit pas d’un butin de guerre, mais plutôt d’un bulletin d’adhésion à la langue française coloniale. Et, par extension, à la culture de ses titulaires. Au paradigme politique et philosophique de la France, en vertu du principe que toute langue, à plus forte raison en position d’hégémonie, véhicule les représentations sociales, les systèmes de valeurs et les schèmes de pensée intrinsèquement liés au pays tutélaire. La preuve par le mercenaire Ilyes Zouari, défenseur acharné de la francophonie, Boualem Sansal, l’alter ego de Zouari, qui siège au cercle des «algérianistes» de l’OAS et chez «Frontières», l’organe de propagande de l’extrême-droite fascisante en France.
Pour autant, lorsqu’on emploie l’expression «butin de guerre», cela implique que nous aurions (algériens) pris possession d’un immense trésor inestimable qui nous aurait prodigieusement enrichi.
Or, à l’époque coloniale, dans le cas de la langue française, celle-ci n’avait jamais permis aux «indigènes algériens» de s’enrichir intellectuellement, encore moins de prospérer scientifiquement. Pour preuve : à l’indépendance, seuls 8% de la population algérienne étaient de faon rudimentaire scolarisés. Kateb Yacine lui-même n’a pu dépasser le cycle secondaire ; il n’a même pas obtenu son baccalauréat.
Aussi le français n’a-t-il jamais constitué notre butin de guerre. En revanche, le Français (colonial) nous a toujours mené une putain de guerre (d’extermination simultanément démographique, culturelle, cultuelle, civilisationnelle, linguistique).
De nombreux Algériens francophones et francophiles, pourfendeurs de l’arabisation de l’enseignement algérien, avec leur mentalité de colonisé expliquant leur amour immodéré de la langue et de la civilisation françaises pourtant en pleine putréfaction, peuvent reprendre à leur compte cette proclamation de foi servilement déclamée par le poète malgache Jacques Rabemananjara en 1959 à propos de la langue française : «Nous nous sommes emparés d’elle, nous nous la sommes appropriée, au point de la revendiquer nôtre au même titre que ses détenteurs de droit divin.»
Voilà : la langue française est devenue leur langue sacrée, au point de vouloir sacrifier la langue maternelle et officielle du peuple algérien : l’arabe, pourtant réellement langue sacrée, étant la langue du Coran. Sans oublier «la langue» amazighe pour les berbérophones, pourtant «langue» matricielle. Ces langues vernaculaires qui renferment tout un fond sensible collectif, tout un imaginaire collectif structurant la culture et la personnalité du peuple algérien, sur lesquelles surfe d’ailleurs la France coloniale, à travers une promotion folklorique.
Cette autre proclamation de foi française écrite par un auteur haïtien au début du XXe siècle peut également être appropriée par ces Algériens sectateurs de la francophonie : «Notre langue est française, françaises sont nos mœurs, nos coutumes, nos idées et, qu’on le veuille ou non, française est notre âme.»
L’âme de ces Algériens culturellement néocolonisés est incontestablement française, comme leur arme est la langue française, ce butin de guerre fièrement revendiqué comme faisant partie intégrante du patrimoine linguistique algérien.
La «cinquième colonne culturelle»
C’est avec cette arme française que ces hommes liges de la France, adoubés par l’Elysée, comptent tuer l’âme algérienne, assassiner notre culture plurielle, ressusciter la suprématie culturelle française. Assiéger l’Algérie avec leur cheval de Troie : le français, ce système linguistique pirate infiltré dans le logiciel intellectuel et éducatif de l’Algérien. S’introniser, au terme de leur Odyssée néocoloniale, rois de l’Algérie francisée. Franchisée. C’est-à-dire une Algérie devenue succursale de la France.
Comment un butin de guerre instrumentalisé par des Algériens francophiles, cette «cinquième colonne culturelle», pourrait devenir triomphalement le trophée de guerre de la France impérialiste contemporaine, si l’Algérie continue à souscrire à ce bulletin d’adhésion linguistique néocoloniale. A cette francophilie néocoloniale défendue par l’idéologue tunisien Ilyes Zouari ?
Pour revenir au Cassandre Ilyes Zouari qui prédit un avenir catastrophique à l’Algérie «si elle remplace le français par l’anglais», ce Tunisien ferait mieux de s’intéresser à l’état de délabrement du système éducatif français, où la langue anglaise est une exigence dans la recherche universitaire et scientifique (loin du folklore gaulois).
Comme nous l’indiquions plus haut, l’école française est devenue une structure de décervelage et l’antichambre de Pôle Emploi (chômage).
Le système éducatif français se transforme année après année en champ de ruines. Il est au bord du naufrage. A plus forte raison le français est-il en déclin. A l’instar de la France en voie de tiers-mondisation, le français également est en train de s’appauvrir. Les jeunes n’ont plus de vocabulaire et ne savent plus écrire. Certains enseignants s’alarment de la baisse de la maîtrise du vocabulaire. La faillite de la langue touche à la fois l’orthographe, la grammaire, le vocabulaire, la lecture, l’écriture et la compréhension du sens de ce qui est lu ou écrit. Et elle est pluri-générationnelle, puisqu’elle concerne aussi bien les enfants, les adolescents et les jeunes que les adultes. Selon plusieurs études, seulement un tiers des élèves de 3e écrit lisiblement. Cette faillite de la langue touche aussi presque toutes les catégories sociales d’appartenance des élèves, y compris les enfants de l’«élite».
Ces deux dernières décennies, en France, l’échec scolaire, matérialisé par la baisse du niveau en français et en mathématiques, et couronné par le décrochage scolaire, c’est-à-dire l’abandon des études, constituent un véritable fléau social.
En témoigne : 44% des jeunes en France avouent avoir rencontré des difficultés scolaires. Par ailleurs, 12,9% des jeunes de 15 à 29 ans sont sans emploi, ni formation ou simplement déscolarisés. Certes, selon les statistiques ministérielles, le nombre de décrocheurs est en nette diminution, comparé aux années 1980 où près de 40% des jeunes sortaient de l’école sans diplôme ou avec le seul brevet.
En France, alors que le niveau scolaire des élèves ne cesse de baisser comme toutes les études le prouvent, notamment celle de l’OCDE publiée le 5 décembre 2023, le nombre de bacheliers augmente curieusement d’année en année, pour atteindre 90% de réussite au baccalauréat (en 2021, le taux de réussite au bac avait atteint près de 94% et même 97,5% en filière générale. Le record absolu est de 95% de reçus en 2020, toutes filières confondues). Aujourd’hui, plus de 94% d’une génération sont susceptibles d’atteindre miraculeusement le niveau du bac, contre un jeune sur dix dans les années 1960, sept sur dix dans les années 1990. A la lumière de ces pourcentages de «réussite au baccalauréat», une conclusion s’impose. En France, l’école capitaliste de masse est devenue une structure éducative occupationnelle, préparatoire au chômage. Mais également un espace de concentration de main-d’œuvre potentielle soustraite des statistiques du chômage.
Pour leur donner l’illusion de la réussite et de la progression dans le cursus scolaire et universitaire, l’éducation nationale française distribue généreusement aux étudiants des diplômes (baccalauréat, licence, master), comme on leur fait accroire qu’ils sont montés dans le démocratique ascenseur de l’ascension sociale qui, en vertu de l’idéologique credo méritocratique de «l’égalité des chances», les hissera au sommet du succès professionnel, de la réussite sociale.
Cela étant, en France, le diplôme, quel que soit le cycle universitaire, est devenu la peau d’âne derrière laquelle tout un chacun dissimule son ignorance, camoufle sa vacuité intellectuelle. De sorte que la fabrique des crétins a abouti à une crétinisation de la France.
En France, l’entrée dans la vie active s’effectue de plus en plus tardivement. Aussi, avec une perspective d’études supérieures démesurément rallongée (5 années après le Bac), et une extension du temps d’accès à un travail stable, les jeunes n’entament-ils leur carrière professionnelle qu’à un âge avancé, entre 25 et 30 ans. De sorte qu’un jeune aura passé plus de 20 ans sur les bancs de l’école pour, in fine, se retrouver sur les bancs de touche de la vie sociale. Vingt ans de débauche scolaire «scolastique» pour échouer à Pôle Emploi faute de débouché professionnel. La massification de l’enseignement supérieur est une mystification intellectuelle. Elle ne reflète pas une augmentation significative du niveau scolaire des étudiants, aux connaissances encyclopédiques réellement de plus en plus réduites du fait de la segmentation des sciences, de la parcellisation des savoirs (et de la concurrence des réseaux sociaux, auprès desquels les jeunes vont s’informer et, donc, se former ou se déformer). Cette massification est une donnée purement statistique, symbolisée par le gonflement du nombre des diplômés opéré par la politique permissive d’inscription dans le cycle supérieur.
L’école française s’adonne à une forme d’élevage intensif d’étudiants en batterie opéré dans ses structures éducatives pondeuses de savoirs déficients. Chaque année elle déverse une juvénile population salariée potentielle sur le marché du travail lilliputien. Une population scolaire qui passe davantage de temps à se former que les générations précédentes. En France, la durée moyenne des études a doublé.
L’ironie de l’histoire, c’est que, une fois achevé leurs études, la situation sociale de la majorité des étudiants sera semblablement identique à celle des jeunes prolétaires depuis longtemps exclus du système éducatif. Ces étudiants, quoique munis de leur diplôme, ne rentrent pas immédiatement (voire jamais) dans la vie active. Et quand certains réussissent à y rentrer, c’est par «la voie de garage», par des emplois sans issue contractuelle pérenne. Dans une société marquée par la McDonalisation et l’Ubérisation, ces étudiants intellectuellement édentés s’inscrivent dans une carrière professionnelle dentelée.
C’est ce que confirme un rapport de la Commission européenne sur la France : «La structure du marché du travail apparaît de plus en plus segmentée et les inégalités scolaires augmentent. Les demandeurs d’emploi ont un accès très limité à la formation, l’accès des moins qualifiés à l’apprentissage décroît et les résultats éducatifs des moins diplômés s’effondrent.» Et en France, «les inégalités éducatives liées au contexte socio-économique sont parmi les plus élevées des pays de l’OCDE. Le lien entre l’éducation et le marché du travail est toujours plus faible et l’accès à l’apprentissage décroît, spécialement pour les moins qualifiés. Plusieurs groupes de population sont maintenant plus exposés au risque de pauvreté, à l’exclusion sociale.»
En conclusion, l’idéologue tunisien Ilyes Zouari ferait mieux de s’inquiéter du sort des élèves français livrés à l’ignorance et privés d’avenir par un système éducatif et un modèle économique en plein effondrement.
Il n’y a qu’à regarder le premier de la classe en France, Emmanuel Macron, qui a raté non seulement (à deux reprises) le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure, mais surtout a lamentablement échoué ses deux présidences à observer dans quelle situation de crise multidimensionnelle catastrophique il a entraîné la France.
K. M.