
L’éternel opposant qui n’a jamais accédé au pouvoir. Tel pourrait se résumer la carrière politique de Raïla Odinga qui a tiré sa révérence, le 15 octobre dernier, en Inde, à l’âge de 80 ans. Frappé d’un malaise en pleine promenade matinale en compagnie de quelques proches, l’opposant historique kényan ne se réveillera pas à l’hôpital où il avait été conduit d’urgence. Et où il rendra l’âme malgré les efforts des médecins pour le réanimer. Une disparition tragique qui laisse sa famille dans l’émoi. Et qui invite à la réflexion sur son héritage politique au Kenya où, entre son combat dans l’opposition et son ralliement au pouvoir, il reste une personnalité politique plutôt controversée.
Il incarnait l’espoir d’un Kenya meilleur
Son engagement politique marqué par la lutte pour le multipartisme, la démocratie et la justice sociale, en fera l’une des figures emblématiques de la scène politique kényane. Et de Daniel Arap Moi à William Ruto en passant par Uhuru Kenyatta, Raila Odinga aura fait preuve de ténacité dans son opposition à tous ces régimes qui lui en auront aussi fait voir des vertes et des pas mûres. Au point qu’il était devenu un abonné de la prison quand il n’était pas parfois contraint de s’exiler pour des raisons politiques. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en se présentant comme le défenseur des masses en lutte pour une société plus équitable, Raila Odinga jouissait d’une forte assise populaire auprès de ses compatriotes. Même si cela ne lui a pas permis de réaliser son plus grand rêve : celui de s’asseoir dans le fauteuil présidentiel qu’il a échoué à conquérir par quatre fois, en autant de candidatures à la magistrature suprême. Laissant à son combat politique, un goût d’inachevé. Toujours est-il que malgré ses défaites électorales répétées à la présidentielle, l’opposant historique qui fut aussi député, n’a jamais cédé au découragement. Mieux, dans sa résilience, il a toujours voulu se montrer proche de son peuple, n’hésitant pas à descendre parfois dans la rue, comme ce fut le cas en 2023 lors des manifestations contre la vie chère dont il avait pris les devants pour contraindre le pouvoir à prendre des mesures hardies en faveur des populations. Autant de faits qui le grandissaient aux yeux de nombre de ses compatriotes pour qui il incarnait l’espoir d’un Kenya meilleur. Mais son étoile finira par pâlir quand, pour sa survie politique, il se sera livré à la compromission avec un pouvoir qu’il a toujours combattu, mais avec lequel il a fini par composer. Ce qui a été vécu par certains de ses partisans, comme « une trahison ». On retiendra aussi le nombre élevé de morts liés à ses ambitions pouvoiristes. Notamment la crise postélectorale de 2007 qui a laissé plus de mille morts sur le carreau, et qui a connu son épilogue dans un accord de partage du pouvoir qui lui a permis d’accéder au poste de Premier ministre. Poste qu’il occupera de 2008 à 2013, avant de revenir dans l’opposition où il briguera trois fois la magistrature suprême (en 2013, 2017 et 2022), sans succès.
La disparition tragique de Raila Odinga met fin à plus de quarante ans d’un activisme politique
Une attitude quasi obsessionnelle qui en dit long sur les ambitions du disparu qui estimait que sa place n’était nulle part ailleurs qu’au sommet de l’Etat kényan. Mais à l’image de certains de ses pairs africains, comme Gérard Kango Ouédraogo au Burkina, ou encore Soumaila Cissé au Mali, qui caressaient tous le secret espoir de s’asseoir un jour dans le fauteuil présidentiel, Raila Odinga finira son combat politique sur terre sans pouvoir réaliser ce rêve de présider aux destinées de son pays. Alors que de son vivant, il aura tout fait pour s’en donner les moyens. De quoi se convaincre que, quelque part, le pouvoir tient du divin et que c’est Dieu qui le donne à qui il veut. Dans le cas de Raila Odinga, peut-être était-il écrit qu’il ne serait jamais président. En tout état de cause, sa disparition tragique met fin à plus de quarante ans d’un activisme politique qui l’aura porté sur tous les fronts : aussi bien au parlement, dans l’opposition qu’à la primature. Mais aussi sur le plan de la médiation internationale, notamment dans le conflit au Soudan du Sud, mais aussi dans la crise postélectorale ivoirienne de 2011 où il avait été mandaté par l’Union africaine (UA). Toujours est-il qu’au moment où s’ouvrent ses obsèques, on se demande s’il bénéficiera d’un hommage national. En attendant, Raila Odinga tire sa révérence au moment où son pays reste confronté à de nombreux défis. Il laisse derrière lui, l’image d’un grand combattant politique qui a voulu vivre utile pour ses compatriotes. Mais en ne laissant personne derrière lui pour prendre le relais, on peut se demander s’il ne pèche pas par égoïsme ou par manque d’anticipation. Et si, avec le recul, son combat ne lui a finalement pas plus profité qu’à son peuple. Et cela est une véritable ombre à son image.
« Le Pays »