Après avoir appris les arrestations d’Anicet Ekane, du professeur Aba’a Oyono et de Djeukam Djameni, Issa Tchiroma est resté accroché à son téléphone dans les minutes qui ont suivi, seconde après seconde. Il a aussitôt contacté ses proches travaillant à la police et au renseignement, qui lui ont confirmé l’information. La nouvelle de ces arrestations l’a profondément ébranlé. Issa Tchiroma connaît l’expérience de la prison il ne veut pas revivre cela. Jusque-là calme et méthodique, il a senti le sol se dérober sous ses pieds.
Autour de lui, les appels se multipliaient. Certains de ses partisans, passionnés par l’homme, le suppliaient d’attendre, promettant de faire obstacle à toute arrestation. Mais Tchiroma se souvenait des temps durs de sa détention à Yoko.
Une grande confusion régnait autour de lui. Pressé, il est sorti de sa maison, a fait un détour vers un endroit inconnu, puis est revenu. Peu après, il a convoqué une réunion de quinze minutes dont personne ne connut la teneur. Sans doute annonçait-il à ses proches que le filet se refermait. Dans la pénombre de son bureau, il a longuement fixé le portrait de ses héros accrochés au mur, puis a murmuré une prière avant de prendre une décision ; il devait disparaître avant l’aube. Dès lors, il ne restait plus qu’à préparer son sac.
Dans la précipitation, Issa Tchiroma a dû abandonner sa célèbre gandoura. Pour passer inaperçu, l’ancien ministre aurait troqué son élégante tenue traditionnelle contre un jean bleu et un sombrero mexicain. Nos informateurs nous disent même qu’il aurait essayé de marcher les mains dans les poches pour faire jeune. Issa Tchiroma a tout de même trouvé le temps d’emballer deux objets sacrés : son portrait de président élu et un petit drapeau du Cameroun, soigneusement plié entre deux chemises. « On ne sait jamais, le patriotisme, ça peut servir à la frontière », aurait-il dit en glissant le tout dans sa valise dans un éclat de rire.
Sur la route, il jetait de temps en temps un regard attendri aux passants. Certains proches affirment même qu’après les votes, il saluait ce portrait avant de s’endormir. Il faut savoir que depuis son retour à la politique active de l’opposition, Issa Tchiroma fonctionne comme un ancien général, son sac doit toujours être prêt. Le vieux sac en cuir, posé depuis des mois dans un coin de la chambre, attendait ce moment.
À l’intérieur, tout était soigneusement rangé : quelques vêtements, une trousse de toilette, des documents importants, un peu d’argent liquide et une clé USB enveloppée dans un mouchoir. Sa femme, silencieuse, le regardait faire sans poser de questions. Même ses enfants ignorent où ils se trouvent. Peu avant deux heures du matin, une colonne de voitures a traversé la ville endormie. Une voiture sombre démarrée discrètement de la résidence, qui longé les ruelles jusqu’à la route du Nord. Tout semble indiquer qu’il se dirigeait vers la frontière nigériane.
Les rumeurs enflèrent dès l’aube, Tchiroma aurait fui le pays. Mais la vérité était ailleurs. La voiture n’était qu’un leurre, conduite par un de ses fidèles, pendant que lui, à pied, s’enfonçait dans l’obscurité d’un sentier qu’il connaît par cœur. Au lever du jour, il est arrivé dans un petit village aux confins du Mayo-Tsanaga. Là, vit une femme que l’on dit capable de rendre un homme invisible aux yeux de ses ennemis. Celle-ci l’a accueilli sans surprise, comme si elle l’attendait.
Autour d’un feu, cette femme, experte en incantations, potions et cauris, a frotté une huile épaisse sur son front et lui a remis un bâton sculpté de signes anciens. Ému, Tchiroma a disparu dans la vieille cabane pour se retrouver avec la vieille dame sur une colline. Depuis hier, nul ne sait vraiment où se trouve Issa Tchiroma. Certains disent l’avoir aperçu dans un village près de Maroua, d’autres prétendent qu’il vit dans une case reculée, entouré d’anciens combattants qui attendent le signal. Mais tous s’accordent sur une chose : il n’a pas quitté le Cameroun. Il attend, observe et tisse ses alliances.
Parfois, quand le vent souffle vers la direction du nord, on aperçoit un grand boubou lointain qui disparait dans la pénombre. Aujourd’hui, on sait qu’il est bel et bien dans le nord du Cameroun, dans un lieu tenu secret, où il tente d’organiser les opérations de ralliement. Mais l’homme, profondément épris de paix, n’est pas un révolutionnaire au sens strict du terme.
À demi-mot, il s’adresse à la foule « Réclamez votre vote. Si vous ne le réclamez pas, ce n’est pas mon problème. » Malgré toute sa réputation, Issa Tchiroma ne brillait pas vraiment par son sens de la stratégie. Il avait tenté une petite comédie, mais elle a vite dérapé : il ne s’attendait pas à être pris d’un tel fanatisme. À présent, les organisateurs de la pièce ne savent plus comment quitter la scène, d’autant que de nouveaux acteurs continuent d’entrer en jeu, rendant la situation de plus en plus ubuesque la démocratie camerounaise.
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