Par Kamel M. – En cherchant à résoudre un conflit vieux d’un demi-siècle, le Maroc pourrait bien avoir ouvert une nouvelle crise à l’intérieur de ses propres frontières. C’est la thèse avancée par le Washington Post dans son édition du 4 novembre 2025, qui estime que le royaume «s’est tiré une balle dans le pied» en proposant un plan d’autonomie pour le Sahara Occidental, car cette initiative risque désormais d’inspirer d’autres revendications régionales, notamment celles du Rif.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté le 31 octobre une résolution américaine qualifiant le plan marocain d’«option réaliste» pour régler le conflit sahraoui. Ce texte, qui renouvelle le mandat de la Minurso tout en mentionnant le référendum d’autodétermination, a été salué à Rabat comme une «victoire diplomatique majeure». Pourtant, comme le souligne le Washington Post, cette reconnaissance américaine du principe d’autonomie sous souveraineté marocaine pourrait créer un précédent inattendu.
«Si le Sahara Occidental peut gérer ses affaires locales sous l’autorité du roi, pourquoi pas le Rif ?», interroge un militant rifain exilé en Europe, cité par le quotidien américain. Dans le nord du pays, la région du Rif, marquée par une histoire de révolte et de marginalisation, voit dans cette ouverture un précédent juridique et politique susceptible d’alimenter ses propres aspirations à l’autonomie.
Le Washington Post rappelle que le Hirak du Rif, en 2016-2017, avait déjà mis en lumière les profondes fractures sociales du royaume : chômage endémique, inégalités, sentiment d’abandon et répression brutale des manifestants. Pour nombre de militants rifains, la reconnaissance d’un statut d’autonomie au Sahara Occidental ne fait qu’exacerber ce sentiment d’injustice. «En accordant une autonomie à une région contestée, Rabat a ouvert la porte à d’autres revendications internes», analyse un diplomate européen interrogé par le journal.
Selon plusieurs observateurs, le plan d’autonomie marocain repose sur une ambiguïté : il est brandi à l’international comme un signe d’ouverture, mais reste inopérant sur le terrain. Aucun transfert réel de compétences n’a été engagé, aucune élection régionale élargie n’a eu lieu. Le Makhzen semble craindre qu’un tel modèle devienne contagieux. «Le Maroc veut paraître moderne et décentralisé, tout en maintenant un contrôle absolu» sur les territoires sahraouis, résume le Washington Post.
A Al-Hoceima, Nador ou Tanger, l’idée d’une «autonomie rifaine» circule désormais dans les conversations et sur les réseaux sociaux. Certains militants parlent d’«égalité des autonomies», d’autres d’un «droit à la reconnaissance» inspiré du «précédent sahraoui».
Ironie du sort, conclut le Washington Post, la stratégie marocaine, qui devait «légaliser» son autorité sur le Sahara Occidental, risque de fragiliser son unité nationale. En cherchant à résoudre un vieux conflit territorial, Rabat pourrait avoir ravivé un autre, plus intime et plus redouté : celui du Rif, cette région qui, depuis un siècle, n’a jamais cessé de réclamer dignité, justice et reconnaissance.
K. M.