En ce mois de novembre 2025, la Guinée-Bissau ajoute à son histoire politique déjà tourmentée, un épisode que même les dramaturges les plus téméraires auraient hésité à imaginer : un coup d’Etat arrangé, mis en scène avec une audace déroutante et une précision presque clinique. Le président sortant, Umaro Sissoco Embaló, voyant la nasse électorale se refermer sur lui et redoutant une reddition des comptes inévitable, semble avoir préféré le stratagème ultime : celui de s’évincer lui-même. Une sorte d’autogoal politique, exécuté pour se tirer d’affaire et se mettre à l’abri, loin de Bissau. Certes, l’on a encore en mémoire la retentissante volte-face, en 1993, au Nigeria, quand le président Ibrahim Babangida avait annulé les élections en pressentant la victoire de Moshood Abiola, avant de démissionner et de céder le pouvoir à Ernest Shonekan, lui-même renversé quelques mois plus tard par un coup d’Etat militaire dirigé par Sani Abacha. Mais jamais, pour autant que la mémoire continentale puisse en témoigner, un dirigeant n’avait chorégraphié ou orchestré lui-même sa propre destitution de manière aussi théâtrale, pour éviter de remettre le pouvoir à un adversaire dont la victoire était quasi certaine, selon les dépouillements des bulletins de vote. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine ont condamné ce “coup d’Etat de convenance” avec fermeté, redoutant qu’une telle dérive ne fasse jurisprudence ailleurs sur le continent. Les mécanismes de sanction ont été enclenchés. Pourtant, il est peu probable qu’ils réussissent à forcer les militaires à achever le processus électoral et à proclamer les résultats, d’autant que les nouveaux maîtres du pays ont rapidement verrouillé la situation en dévoilant une feuille de route conçue en vase clos : gouvernement autoproclamé, transition de douze mois et aucune ouverture au débat.
La Guinée-Bissau marquée par les cicatrices d’un passé politique douloureux
Quant au peuple bissau-guinéen, il est tenu en respect par une soldatesque rompue aux coups de force. Sous la menace, il pourrait être contraint de boire jusqu’à la lie, ce breuvage amer servi par des acteurs qui, de toute apparence, se moquent éperdument de l’expression de sa volonté souveraine. Pendant ce temps, Embaló, réfugié à bonne distance au Congo-Brazzaville, apparaît tel un marionnettiste ayant quitté la scène sans renoncer tout à fait à tirer les ficelles. Sans doute espère-t-il revenir rapidement à Bissau, porté par une transition qui lui doit tout et a priori ne lui refusera rien. La Guinée-Bissau, déjà marquée par les cicatrices d’un passé politique douloureux, marche désormais sur une ligne de crête, suspendue au-dessus du vide. Et ce ne sont ni les injonctions, ni les menaces de la CEDEAO ou de l’Union africaine qui suffiront à restaurer la confiance entre les acteurs politiques d’un pays plusieurs fois mordu par l’Histoire. Pire, une pression extérieure mal calibrée pourrait rallumer des braises qui ne se sont jamais totalement éteintes. Que faire alors, pour éviter d’ouvrir à nouveau la boîte de Pandore sans pour autant valider, par inertie, la violation du vote populaire ? En tout cas, la sortie de crise la moins mauvaise, ne peut venir que des Bissau-guinéens eux-mêmes, conscients de leur responsabilité collective face au risque de déflagration interne.
Depuis l’indépendance, l’armée s’est imposée comme un acteur incontournable du jeu politique
Quant aux forces armées, on peut espérer qu’elles finiront par franchir le pas décisif en publiant les résultats du scrutin pour céder la place au vainqueur légitime, même si cela paraît relever de la chimère, à l’étape où on en est. Les acteurs civils, eux, doivent accepter une réalité structurelle : depuis l’indépendance, l’armée s’est imposée comme un acteur incontournable du jeu politique. Imaginer gouverner durablement sans son soutien, relève de l’illusion. Civils et militaires se trouvent donc aujourd’hui devant un tournant critique, et leur engagement à stabiliser la Guinée-Bissau, ne doit pas être seulement politique. Il sera aussi et surtout historique, dans l’intérêt des populations qui ne demandent qu’à vivre dans la paix et la stabilité des institutions républicaines.
« Le Pays »