CAMEROUN :: Crise postélectorale et santé mentale des travailleurs : Le cas du Bore-out :: CAMEROON
Au lendemain de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, aussi bien avant la proclamation des résultats définitifs par le Conseil Constitutionnel qu’après, le pays a connu une période de crise postélectorale marquée par une interruption drastique du travail aussi bien chez les personnes occupées à un emploi formel (administration et entreprise) que chez celles occupées à un emploi dans le secteur informel et particulièrement les activités génératrices de revenus (AGR).
Parmi les sciences qui se sont penchées sur l’analyse, la compréhension, l’explication de la situation que traversait le pays, la Psychologie, science qui étudie le comportement et les processus mentaux des individus en situation a pu donner sa contribution sur les effets de cette crise postélectorale sur la
santé mentale des citoyens de manière générale. C’est le lieu ici de saluer la contribution remarquable des psychologues en fonction tant au Service National d’Assistance Psychologique (qui répond au numéro vert 1510) qu’à l’Observatoire de la santé mentale en période électorale au Cameroun (répondant au contact 687113955) qui ont signé une contribution qui a été partagée dans les réseaux sociaux et surtout les fora WhatsApp sous le titre « Stress politique,stress postélectoral et anxiété politique au Cameroun : comment préserver une bonne santé mentale pendant la période électorale et au-delà ? » Cette contribution a tenu à mettre en exergue le fait que « le comportement politique au sens où les pensées, les sentiments et les actions, tous de nature politique, peuvent être inadaptés, pathologiques et menacer le bien-être individuel et collectif si tant est vrai que dans le cas du Cameroun au sortir de
cette élection présidentielle, le comportement politique de certains acteurs s’est avéré destructeur pour la santé mentale de bien de citoyens. On y a appris également que la politique constitue un facteur de stress chronique autant pour ceux qui sont des acteurs directs » que ceux qui sont indirectement concernés par la chose politique. Au regard des conséquences négatives que la politique peut avoir sur la santé mentale des citoyens globalement, la contribution s’est achevée par l’offre de l’expertise psychologique en période postélectorale pour la prise en charge et
l’accompagnement des potentielles victimes d’une part et l’accompagnement des organisations politiques devant guider les activités en temps d’élections. Sans s’écarter de cette mise en exergue de l’expertise psychologique, la présente réflexion sur un cas patent d’un risque psychosocial qui a été mis en exergue avec l’observance globale du mot d’ordre de villes mortes d’une part et surtout l’arrêt momentané des activités dans bien de secteurs clés de la vie socioéconomique et professionnelle d’autre part. Il s’agit du Bore-out. En effet, pour la psychologie du travail et des organisations, une crise postélectorale se présente incontestablement pour les populations d’un pays comme un puissant facteur ou déterminant de stress et surtout de désorganisation pour les travailleurs aussi bien des entreprises formelles privées et/ou publiques que pour tout travailleur occupé à une AGR. Bien plus, les conséquences sur la santé mentale sont profondes, systémiques et affectent à la fois les individus et le collectif de travail. Nous nous permettons de livrer la modeste contribution issue de notre observation de la situation camerounaise qui vient de se passer sous nos yeux du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. Après avoir défini le concept de Bore out et présenter ses caractéristiques, nous allons montrer comment la crise postélectorale vécue par le Cameroun a pu conduire au Bore-out chez les travailleurs camerounais..
- 1. Généralité sur le Bore-out
Le Bore-out encore appelé syndrome d’épuisement par l’ennui se caractérise par un manque de stimulation mentale au travail, conduisant à une souffrance
psychologique durable. Contrairement à un simple ennui, il s’agit d’un état de souscharge chronique qui affecte le bien-être des employés. Généralement, ce syndrome survient lorsque les tâches sont perçues comme répétitives, et que l’individu ne trouve pas d’opportunité de progression ou de défi dans son environnement professionnel. Ce manque de sollicitation peut entraîner une dévalorisation de soi, une démotivation, et même des troubles de l’humeur. Ce syndrome a été comparé à une « mort lente » de la motivation et de l’engagement, où la personne en poste se sent piégée dans une routine sans fin. Mais, dans le cadre de la présente réflexion, le Boreout est à comprendre comme l’ennui ressenti par des personnes occupées à un emploi
tant formel qu’informel qui se sont retrouvées contraintes de rester inactives sans travailler du fait de la crise postélectorale et du respect du mot d’ordre des villes mortes. - La maxime de Voltaire ne renseigne pourtant que le travail éloigne de nous trois grands maux qui sont le vice, l’ennui et le besoin. Pourtant, avec la crise postélectorale qui a sévi au Cameroun au lendemain de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, l’arrêt du travail s’est retrouvé être source et pourvoyeur d’ennui pour bien de personnes pourtant occupées à un emploi aussi bien formel qu’informel.
Bon à savoir, il faut bien distinguer le Bore-out du Burn-out et du Brown-out. En effet, le bore-out est causé par un manque de défis et de responsabilités, menant à une sensation de stagnation et de frustration. Par contre, le burn-out se veut le résultat d’une surcharge de travail et d’un stress prolongé. Ainsi, les travailleurs souffrant de burn-out se sentent épuisés émotionnellement, physiquement et mentalement, souvent à cause de la pression incessante à performer. En revanche, le Brown-out, quant à lui, se caractérise par une perte de sens au travail.
Bien que l’employé puisse être occupé dans son poste, il ne voit pas l’impact ou la valeur de ses contributions, ce qui érode progressivement son engagement et sa satisfaction professionnelle. -
Toutefois, bien que différents dans leurs causes, ces trois syndromes partagent des conséquences similaires sur la santé mentale, indépendamment des facteurs ou des causes.
Les causes sont souvent ancrées dans des facteurs organisationnels et personnels. Les réorganisations fréquentes au sein des entreprises peuvent laisser des personnes sans direction claire, tandis que des tâches mal définies ou monotones contribuent à un
sentiment de déconnexion. La surqualification est un autre facteur, dans le cas où une personne hautement compétente se retrouve sous-employée et démotivée. Les politiques de l’entreprise qui ne valorisent pas suffisamment les
compétences individuelles ou les aspirations des employés peuvent également mener
au bore-out. Enfin, le manque de communication et de reconnaissance de la part des supérieurs hiérarchiques peut exacerber la sensation d’inutilité.
2. Des conséquences de la crise postélectorale sur la survenue du Bore-out - Une crise postélectorale a, de manière générale, des conséquences aussi bien sur les individus travailleurs (au plan individuel) que sur les organisations employeuses des travailleurs (au plan organisationnel). Nous en rendons compte en ressortant les spécificités des dites conséquences tant sur le plan individuel que sur le plan organisationnel.
- 2.1. Sur le plan individuel
- La crise postélectorale est source des cas respectifs de :
• Anxiété généralisée et stress chronique : L’incertitude quant à l’avenir politique,
économique et sécuritaire génère un état d’anxiété constant. Ce stress peut se
manifester physiquement par des maux de tête, des troubles du sommeil et de
l’appétit, et une fatigue persistante.
• Troubles dépressifs : L’instabilité politique et les pertes de repères peuvent
engendrer des sentiments d’impuissance, de désespoir et de tristesse profonde,
susceptibles d’évoluer vers une dépression.
• Trouble de stress post-traumatique (TSPT) : Dans les cas de violence post
électorale, les travailleurs ayant été témoins ou victimes de violences peuvent
développer un TSPT, avec des symptômes tels que des flashbacks, des cauchemars
et une hypersensibilité aux stimuli liés au traumatisme.
• Tensions familiales et sociales : Les désaccords politiques qui s’immiscent dans la
sphère privée peuvent fragiliser les relations interpersonnelles, y compris au sein des
familles, ce qui accroît la charge mentale des employés.
Dans un pays où le tissu économique global est largement favorable aux AGR, où il faut
sortir ouvrir son point d’activité pour espérer avoir de quoi manger en fin de journée, les
camerounais affectés à cette base économique se sont faits bouffer par l’ennuie de ne pas
aller travailler pour vivre. En effet, n’étant pas suffisamment préparés à la logique de
l’épargne sur le long terme pouvant soutenir les dépenses en cas d’arrêt d’activités, les
personnes ou structures astreintes à vivre au jour le jour, au bout des trois jours de villes
mortes ou des deux semaines qui ont meublé la fin du scrutin, la proclamation des résultats
et surtout la prestation de serment du président élu, ont gravement souffert des effets de
cette suspension forcée de leurs activités quotidiennes. Rester à la maison de manière
forcée a été une source intarissable d’ennuis. L’inactivité s’est avérée être pour tous ces
bimanes une pilule amère à avaler. Loin d’être exclusivement l’affaire des seuls travailleurs,
même les organisations constituant les lieux de travail des salariés n’ont pas été épargnées
par les effets de cette crise postélectorale.
2.2. Sur le plan organisationnel
Pour l’entreprise employeuse du personnel occupé à un emploi, les conséquences de la
crise postélectorale peuvent se lire respectivement à travers les points suivants :
Conflits interpersonnels et polarisation : La crise peut exacerber les divisions
politiques entre collègues. Des désaccords peuvent créer un climat de travail tendu,
compromettant la collaboration et la confiance au sein des équipes.
Baisse de la productivité et de la motivation : L’anxiété, le stress et la peur de
l’avenir peuvent affecter la concentration, la motivation et l’engagement des
employés. Cela se traduit souvent par une baisse de la performance et de la
productivité.
Absentéisme et présentéisme : Par crainte pour leur sécurité, certains employés
peuvent s’absenter plus fréquemment. D’autres, confrontés à une charge mentale
élevée, peuvent être présents physiquement au travail sans être pleinement efficaces,
un phénomène appelé présentéisme.
Turnover accru : L’instabilité économique et politique, conjuguée à un
environnement de travail dégradé, peut pousser les employés à quitter leur emploi
à la recherche de plus de sécurité. Les entreprises risquent de perdre des talents
précieux. Et dans un pays comme le Cameroun marqué par une saignée sauvage et
inarrêtable de partir de ses travailleurs vers d’autres cieux à l’instar du Canada, les
USA, le continent européen, le continent asiatique et même vers d’autres pays
africains où la logique de partir pour partir est devenue une règle, cette crise
postélectorale va encore nourrir de nombreux projets d’immigration et/ou
d’émigration chez bon nombre de camerounais, si tant est vrai que l’ennui déjà vécu
aux postes actuels ne cesse de causer des frustrations et des humiliations pour leur
avenir respectif. - De l’observation de la situation camerounaise, toutes les entreprises ont été touchées par
les effets de cette crise postélectorale et surtout du Bore-out. Des grandes entreprises (GE)
aux très petites entreprises (TPE) en passant par les Petites Entreprises (PE), les Petites et
Moyennes Entreprises (PME). Des boutiques du quartier aux grandes administrations,
l’ennui lié ou causé par l’absence de travail du fait de l’observance des villes mortes ou de
la crise postélectorale, a été le plat du petit déjeuner, du déjeuner, du dîner, du soupé des
personnes occupées à un emploi formel également. Se retrouver cloîtré chez soi à ne rien
faire, pas par manque de travail, mais par suite des villes mortes, est un ennui
douloureusement vécu par un individu habitué à sortir chaque matin pour son lieu de
travail. Des quelques échanges avec les victimes de ce Bore-out du fait de la crise
postélectorale, l’on a pu noter entre autres :
✓ La fatigue persistante « Mon frère, même après avoir dormi la nuit, je me retrouve
comme vidé de mes forces par manque d’activité »
✓ Les troubles de sommeil : « Curieusement, je me suis retrouvé incapable de fermer
l’œil de la nuit car je ne savais pas exactement de quoi mon demain sera fait sans
pouvoir aller au travail » ;
✓ Les douleurs musculaires : « Quand je vais au travail, je sais à peu près quel type de
posture je vais adopter pour mon activité. Mais l’histoire de rester à la maison ci
sans travail, obligé de regarder la télévision et à ne rien faire, vraiment, je me suis
retrouvé avec des douleurs sur tout le corps » ;
✓ Les problèmes digestifs : « Il m’est arrivé de m’oublier plusieurs fois devant le plat
de nourriture à table du fait de la peur du lendemain surtout que la situation
semblait nous échapper directement mais s’imposait à nous »
Même sans avoir passer l’échelle de mesure de l’anxio-dépression, il n’empêche que les
expressions de certains de nos interlocuteurs nous ont permis de noter des cas de signes
psychologiques de ce Bore-out en eux. -
En effet, l’anxiété croissante et la dépression marqué par un sentiment d’impuissance et de
désespoir lié au fait que « les gens ne savaient jusqu’à quand cette situation allait perdurer.
Le fait de se retrouver avec les enfants à la maison durant près de deux semaines sans école
pour nous les parents qui avions déjà tout payé s’est avéré comme une arnaque déguisée
pour nous autres les parents », relate un parent et fonctionnaire rencontré dans la ville de
Dschang. Un agent de guichet d’une entreprise faisant dans le transfert d’argent contacté
a fait état d’un sentiment de vide. Il s’agit d’une impression que le repos forcé par les villes
mortes et la crise postélectorale n’apportait rien de constructif pour des gens comme eux
déjà mal rémunérés par leur entreprise. D’autres travailleurs victimes de ce Bore-out du
fait de la crise postélectorale au Cameroun ont présenté d’autres signes psychologiques
allant dans le sens de la perte d’intérêt « déclin de l’enthousiasme pour des activités liées
à son travail pourtant et très souvent apprécié » ; la diminution de l’estime de soi marquée
ou caractérisée par « le doute constant sur ses compétences et sa valeur professionnelle »
mis à rude épreuve par le fait de rester à la maison par contrainte durant près de deux
semaines ; la rumination constante qui renvoie à des « pensées répétitives sur
l’insatisfaction ou le manque de progression ». En effet, la non maitrise du calendrier des
villes mortes et les logiques d’arrêt ou de reprise de service, a constitué pour certaines
personnes occupées à un emploi formel ou informel, une véritable gageure. C’est d’ailleurs
pour toutes ces raisons que certains psychologues camerounais se sont investis, pour
essayer d’éclairer les lanternes de certaines personnes afin de proposer des pistes de
compréhension et de prise en charge. - 3.Rôle du psychologue des organisations
Le psychologue des organisations joue un rôle crucial pour aider les entreprises à traverser
ces périodes de crise. Parmi les activités qu’il peut être amené à faire en pareille
circonstance, on peut citer celles-suivantes :
✓ Évaluer l’impact : Diagnostiquer les besoins psychologiques des employés et les
facteurs de stress au sein de l’organisation.
✓ Fournir du soutien : Mettre en place des programmes d’aide aux employés (PAE)
offrant un soutien psychologique confidentiel.
✓ Former les managers : Outiller les leaders pour qu’ils puissent détecter les signes de
détresse chez leurs collaborateurs, communiquer avec empathie et gérer les tensions
politiques.
✓ Créer un environnement de soutien : Promouvoir une culture d’entreprise axée sur
l’empathie, le respect et la sécurité psychologique. Encourager la communication
ouverte et constructive tout en rappelant les règles de civilité.
✓ Développer la résilience : Proposer des ateliers et des ressources pour aider les
employés à gérer le stress, l’anxiété et les émotions négatives (méditation, pleine
conscience, etc.).
Ainsi, en dépit des bureaux fermés comme cela a été le cas presque sur toute l’étendue du
territoire, les psychologues ont pu s’appuyer sur les outils de communication les plus en
vue à l’heure actuelle, pour continuer à être utile à la société. En effet, les fora WhatsApp,
les pages Facebook, les Blogs et autres Sites Internet ont été le théâtre des interventions
spécifiques des psychologues sans pour autant oublier les médias anciens comme la radio
et la télévision.
En somme, une crise post-électorale est une période de troubles politiques, sociaux et
parfois sécuritaires qui survient après un processus électoral, généralement en raison de
contestations des résultats, d’allégations de fraude ou du refus d’un candidat de reconnaître
sa défaite. Les conséquences de cette crise sont plurielles et complexes mais interpellent
tout de même la communauté scientifique. La psychologie se sent formellement interpellée
pour pouvoir donner sa part de lecture à partir de ses grilles scientifiques spécifiques.
D’autres recherches avec des collectes des données auprès des salariés pourront mieux
contribuer à cerner les contours psychologiques de cette période de crise postélectorale en
contexte camerounais afin de mieux renseigner sur les pistes d’accompagnement que
pourraient mettre en place les nombreux psychologues en service au pays.
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