Après l’épisode de la présidentielle, à laquelle le PPA-CI n’avait pas pris part à la suite de l’invalidation de la candidature de Laurent Gbagbo et de la non-désignation d’un candidat de substitution, le Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) a, une fois encore, choisi de se priver des arènes institutionnelles où se forgent les lois et se construisent les équilibres politiques, en décidant de boycotter les prochaines élections législatives. En faisant ce choix, Laurent Gbagbo, figure historique et tutélaire de la gauche ivoirienne, a peut-être pris une décision qui confine au suicide politique, d’autant qu’elle exclut de fait son parti des principales institutions de la République pour au moins cinq ans. Comment le PPA-CI, fondé par un ancien président pourtant réputé pour être un stratège et fin manœuvrier, pourra-t-il peser sur le destin de la Côte d’Ivoire et défendre les intérêts de ses militants s’il renonce aux tribunes où se décident les lois ? Qu’est-ce qui peut expliquer cette désertion politique aux allures de suicide collectif ? Le leader du parti est-il aujourd’hui prisonnier de sa propre légende, figé dans la nostalgie du passé, ou otage d’un entourage radicalisé qui confond loyauté et aveuglement ? En tout état de cause, la base militante risque de ne pas comprendre ce choix de retrait prolongé et de silence institutionnel imposé au PPA-CI pour les cinq prochaines années. Le parti s’expose ainsi à une longue traversée du désert, avec des dissensions internes qui, d’ailleurs, ne se sont pas fait attendre.
La situation du PPA-CI est d’autant plus compliquée qu’il y règne déjà un climat de suspicion et de règlements de comptes internes
La décision de Michel Gbagbo, fils de l’ancien président et fondateur du parti, de braver la ligne officielle et de se présenter aux législatives de décembre prochain, illustre la fracture entre une direction attachée à la posture du boycott et une base lassée de l’inaction. C’est un geste d’indépendance, voire de désobéissance, mais aussi de lucidité que d’autres cadres, épuisés par la politique de la chaise vide, pourraient imiter, convaincus que rester en marge du jeu électoral revient à offrir un boulevard aux adversaires politiques, notamment au parti au pouvoir. La situation du PPA-CI est d’autant plus compliquée qu’il y règne déjà un climat de suspicion et de règlements de comptes internes, accentué par l’arrestation récente de la figure jusqu’au-boutiste du parti, Damana Adia Pickass. L’idée même que ce dernier ait pu être livré par ses propres camarades, donne la mesure du chaos interne en perspective, et ne serait que la partie visible d’un iceberg de trahisons susceptibles de transformer lentement, mais sûrement, le parti en un champ de ruines. Le comble, c’est que Laurent Gbagbo, jadis stratège redouté et orateur charismatique, semble aujourd’hui avoir perdu sa boussole. Il donne l’image d’un chef désorienté, manipulé par des courants antagonistes, et incapable de taper du poing sur la table face aux rancunes tenaces que nourrissent les uns envers les autres, et aux ambitions personnelles en embuscade depuis l’annonce du prochain congrès, à l’issue duquel le fondateur du parti a promis de prendre sa retraite politique – du moins si cette promesse est tenue.
L’opposition ivoirienne, dans son ensemble, ne sortira pas pour autant grandie de cet épisode
Pendant que le PPA-CI court le risque de l’autodestruction, ses anciens alliés du Front commun, le PDCI et le FPI notamment, ont décidé, eux, de participer aux législatives, ouvrant la voie à une recomposition politique dont Laurent Gbagbo et les siens pourraient être les grands absents, et donc les grands perdants. Ces deux partis d’opposition, ayant pris acte de la réalité politique, vont selon, toute vraisemblance, former une nouvelle coalition sur les décombres de l’éphémère front commun. Avec, possiblement, le parti de l’ancienne épouse et désormais rivale politique de Gbagbo, Simone Ehivet. L’opposition ivoirienne, dans son ensemble, ne sortira pas pour autant grandie de cet épisode. La probabilité est grande qu’elle soit laminée aux législatives de décembre par la coalition au pouvoir qui s’est déjà ouvert un boulevard, à cet effet, après sa récente victoire à la présidentielle. Pendant que la majorité des partis affûtent leurs armes politiques pour glaner le maximum de voix et siéger à l’Assemblée nationale de Yamoussoukro, le PPA-CI, lui, semble faire un pas de plus vers l’implosion, victime d’un manque criant de lucidité de la part de ses premiers responsables, davantage préoccupés par les purges internes que par l’avenir de leur parti.
« Le Pays »