La réforme constitutionnelle adoptée à Porto-Novo dans la nuit du 14 au 15 novembre 2025, qui prévoit notamment la création du Sénat et la prorogation des mandats du président de la République et des élus locaux, de cinq à sept ans, est présentée par ses promoteurs comme un instrument de paix, une architecture d’unité nationale et un rempart contre l’instabilité au Bénin. Pourtant, derrière cet argumentaire officiel particulièrement séduisant, pourrait se dissimuler une opération politique minutieusement calibrée, destinée à consolider le système mis en place par l’actuel président Patrice Talon, à neutraliser une opposition déjà affaiblie et à protéger l’élite dirigeante contre d’éventuelles poursuites judiciaires. Sinon, pourquoi ne pas avoir engagé cette réforme plus tôt, si son ambition réelle était de renforcer la démocratie béninoise ? Pourquoi intervient-elle précisément à la fin du mandat du président en exercice ? Ce timing, loin d’être anodin, nourrit l’hypothèse d’une manœuvre savamment orchestrée.
Les chances de l’opposition d’espérer une alternance
L’institution sénatoriale, présentée comme un mécanisme de régulation et de bonne gouvernance, pourrait, en réalité, fonctionner comme une simple caisse de résonance du système, une chambre coûteuse et déconnectée des urgences du moment. L’argument de bonne gestion des affaires publiques, brandi pour convaincre les Béninois, apparaît d’ailleurs en contradiction avec le caractère budgétivore d’une telle institution, surtout dans un contexte où les priorités nationales sont ailleurs, face aux défis sécuritaires, économiques et sociaux qui se multiplient. Quant à l’allongement des mandats électifs à sept ans, il constitue un point majeur de crispation. Car, il réduit davantage encore l’espace du pluralisme politique. Une telle mesure pourrait prolonger mécaniquement la durée de contrôle du pouvoir actuel et diminuer les chances de l’opposition d’espérer une alternance. Le passage du quinquennat au septennat réduira, en effet, la fréquence des élections, verrouillera durablement le jeu politique et condamnera une opposition déjà fragmentée, à une longue traversée du désert…du Kalahari institutionnel, à pied et sans boussole.
Cette réforme n’a peut-être pas été écrite officiellement pour un homme
Le seul qui pourrait réellement tirer son épingle du jeu, demeure le président Patrice Talon. Même s’il ne pourra plus briguer un nouveau mandat présidentiel, il bénéficiera d’une sortie de scène sécurisée, possiblement couronnée par une fonction de prestige, telle que la présidence du Sénat. Une telle position lui permettrait de demeurer dans l’orbite du pouvoir sans en occuper directement le siège, tout en bénéficiant d’une protection institutionnelle non négligeable. Dans un contexte africain où les anciens chefs d’Etat sont souvent confrontés à des poursuites, à l’exil ou à l’humiliation publique, disposer d’un tel rempart ou parapluie institutionnel, représente un avantage politique évident. Si l’on admet que cette révision constitutionnelle vise avant tout à offrir à Patrice Talon, une forme d’immunité politique déguisée, il ne faut pas, pour autant, écarter une autre hypothèse relayée par certains Béninois : celle d’une réforme menée avec la bénédiction de la France qui, après ses revers dans les pays du Sahel, n’a aucun intérêt à voir le Bénin s’enliser dans une crise supplémentaire, qui pourrait déboucher sur un changement radical à la sahélienne, de sa diplomatie et de ses relations avec l’ancienne puissance colonisatrice. En somme, cette réforme n’a peut-être pas été écrite officiellement pour un homme, mais elle semble incontestablement taillée sur mesure pour lui, et tombe à point nommé. A quelques mois de la présidentielle, le chef de l’Etat peut dormir sur ses deux oreilles, convaincu qu’avec ce nouveau lifting de la loi fondamentale, il continuera d’exercer une influence déterminante sur les institutions de la République, même après avoir quitté le Palais de la Marina.
« Le Pays »