-Vous parlez d’une diplomatie de “l’entre-deux, ni neutre, ni alignée”. Le Maroc reste tout de même tourné vers l’Occident. À quel point ce non-alignement peut-il renforcer le positionnement du Royaume sur la scène internationale ?
Le Maroc pratique une diplomatie de la nuance, une diplomatie du temps long. La diplomatie marocaine se déploie aujourd’hui dans une logique d’équilibre et d’autonomie stratégique. Être « ni neutre ni aligné », c’est refuser la logique des blocs sans renoncer à ses alliances historiques. Comme le souligne le rapport Maroc 2035, Rabat privilégie une approche fondée sur la souveraineté stratégique, c’est-à-dire la capacité à diversifier ses partenariats sans dépendre d’un seul pôle de puissance.
Certes, le Royaume demeure profondément lié à l’Occident, par son ancrage historique, économique et culturel, mais il ne s’y enferme plus. Il s’ouvre désormais à d’autres sphères, notamment africaines, arabes et asiatiques, tout en consolidant sa place au sein des organisations internationales. Cette posture d’« entre-deux » lui permet de jouer un rôle de médiateur, de pont et de plateforme de dialogue entre régions et civilisations.
Dans un monde fragmenté, où les alliances se recomposent, ce non-alignement actif renforce la position du Maroc comme puissance d’équilibre et de stabilité. C’est d’ailleurs ce que le rapport décrit comme la marque de la diplomatie marocaine : une influence qui s’exerce « moins par la force que par l’intelligence des équilibres ».
-Pourquoi le choix de la France comme cas d’école du non-alignement du Maroc ?
La relation franco-marocaine est emblématique de ce que le rapport nomme une “diplomatie d’équilibre entre proximité et distance”. Historiquement fondée sur des liens économiques, culturels et humains profonds, cette relation a connu des moments de tension — sur la question des visas ou du Sahara — qui ont conduit Rabat à redéfinir les termes de sa coopération avec Paris. Le rapport analyse la France comme un cas d’école du non-alignement marocain, c’est-à-dire un partenaire essentiel, mais non exclusif. La visite d’État du président Emmanuel Macron à Rabat en 2024, conclue par un partenariat d’exception renforcé, symbolise ce rééquilibrage. Le Maroc y affirme sa volonté de maintenir des relations étroites, mais sur un pied d’égalité et de respect mutuel. Ce choix est significatif puisqu’il montre que le Maroc, tout en restant arrimé à ses alliances historiques, revendique pleinement son indépendance diplomatique. Autrement dit, il ne s’agit plus de subir la relation, mais de la redéfinir. C’est tout le sens de cette diplomatie du XXIe siècle marocain : ni rupture, ni alignement, mais équilibre maîtrisé.
Plutôt que de s’enfermer dans une confrontation stérile, Rabat a misé sur une stratégie de crédibilité et de long terme, en associant développement territorial, stabilité régionale et coopération africaine.
-Comment analysez-vous analysez la gestion du dossier du Sahara à l’aune de cette diplomatie d’équilibre dont vous parlez longuement dans votre rapport ?
Le dossier du Sahara illustre parfaitement cette diplomatie d’équilibre et de constance. Le Maroc a su inscrire cette question dans une approche globale, mêlant légitimité politique, persuasion diplomatique et ancrage continental. Plutôt que de s’enfermer dans une confrontation stérile, Rabat a misé sur une stratégie de crédibilité et de long terme, en associant développement territorial, stabilité régionale et coopération africaine.
Cette démarche s’inscrit dans une logique d’autonomisation dans l’interdépendance : le Maroc défend fermement sa souveraineté tout en dialoguant avec toutes les puissances. En ce sens, la gestion du dossier du Sahara devient un instrument de rayonnement diplomatique, permettant au Royaume d’affirmer son leadership africain tout en consolidant des alliances diverses, de Washington à Abou Dhabi, de Paris à Dakar.
C’est un exemple concret de la maturité de la diplomatie marocaine et de la vision du roi Mohammed VI depuis son arrivée au pouvoir en 1999: ferme sur les principes, mais souple dans les méthodes.
Rabat a choisi la diplomatie plutôt que la force — non par faiblesse, mais par lucidité.
-Toujours sur la question du Sahara, le Maroc a récemment obtenu une victoire notoire aux Nations Unies après avoir arraché les positions favorables à sa souveraineté de plus de 120 pays, notamment les grandes puissances. Peut-on dire que c’est le résultat de cette diplomatie d’équilibre ?
Incontestablement. Ce large soutien international n’est pas le fruit d’une campagne ponctuelle, mais celui d’une diplomatie constante, d’équilibre et de crédibilité. Le rapport montre bien comment Rabat a su transformer, avec patience, ses partenariats économiques, sécuritaires et énergétiques en soutiens politiques explicites.
Le Maroc inspire confiance parce qu’il agit de manière prévisible, fiable et cohérente dans le temps. Cette victoire diplomatique consacre la réussite d’un modèle de politique étrangère fondé sur trois piliers : la stabilité institutionnelle, garante de la continuité de l’action extérieure ; la cohérence stratégique, qui relie développement intérieur et projection internationale ; et la fidélité à une vision multipolaire, où le Maroc se veut acteur de convergence et puissance d’équilibre. Le 31 octobre 2025, le Conseil de sécurité des Nations unies a entériné, par une résolution historique, le plan d’autonomie marocain comme la seule base « sérieuse, crédible et réaliste » d’un règlement politique d’un conflit enlisé depuis près d’un demi-siècle. Mohammed VI, longtemps perçu comme un roi discret, s’est révélé stratège, opiniâtre, méthodique : sans éclat, mais sans relâche, il a conduit le Royaume vers une reconnaissance diplomatique que beaucoup jugeaient inatteignable. À New York, le Maroc a, de facto, écarté l’option d’indépendance longtemps défendue par le Polisario et son allié algérien.
Dans un discours à la fois solennel et rassembleur, prononcé quelques minutes après le vote du Conseil de sécurité, le souverain a salué « la conclusion d’un demi-siècle de patience stratégique » et proclamé l’avènement d’un « Maroc uni, de Tanger à Lagouira ». Cette reconnaissance internationale consacre une vision où le temps diplomatique a supplanté la logique de confrontation. Rabat a choisi la diplomatie plutôt que la force — non par faiblesse, mais par lucidité. En cela, la victoire du 31 octobre 2025 n’est pas une fin, mais l’accomplissement d’une longue géopolitique de la patience — celle d’un Royaume qui, fidèle à lui-même, a compris qu’au XXIᵉ siècle, la souveraineté se conquiert moins par la guerre que par le temps.
Le Maroc inspire confiance parce qu’il agit de manière prévisible, fiable et cohérente dans le temps.
-Depuis les années 2000, le Maroc s’est rapproché remarquablement des pays émergents, notamment la Chine, la Russie et l’Inde. Quels en sont, à votre avis, les bénéfices concrets ?
Le rapport met en lumière ces partenariats comme une composante essentielle de la diversification marocaine. Avec la Chine, les échanges commerciaux atteignent près de 8 milliards de dollars en 2023, et le Royaume s’affirme comme un point d’entrée stratégique pour Pékin vers les marchés européens et américains. Avec l’Inde, le Maroc a signé plus de 40 accords bilatéraux couvrant la sécurité, l’agriculture, la formation et la recherche — l’Inde étant également le premier importateur du phosphate marocain. Quant à la Russie, la coopération énergétique et agricole s’est renforcée, notamment dans le domaine des engrais et des hydrocarbures.
Ces rapprochements traduisent une recherche d’autonomie dans la mondialisation. Ils permettent au Maroc de réduire ses vulnérabilités vis-à-vis de ses partenaires traditionnels, d’accéder à de nouvelles technologies et de développer des relais d’influence dans un monde multipolaire. Cette diversification illustre parfaitement ce que le rapport appelle la « diplomatie de partenariats diversifiés », inscrite dans une logique de coopération Sud-Sud et de rééquilibrage postcolonial. En d’autres termes, le Maroc élargit ses horizons.