Les cours du café atteignent des sommets inédits depuis plus d’une décennie. Selon la note de conjoncture économique du premier trimestre publiée par le ministère des Finances, le prix moyen du café arabica s’établit à environ 5000 FCFA le kilogramme (8,6 dollars le kg), en hausse de 26,2 % par rapport au trimestre précédent. Le robusta suit la même tendance, progressant de 12,5 % pour atteindre à environ 3500 FCFA le kilogramme soit 5,6 dollars/kg.
Sur un an, les cours mondiaux bondissent respectivement de 87,9 % pour l’arabica et 63,9 % pour le robusta. La Banque mondiale anticipe même une hausse moyenne annuelle de 51,2 % pour l’arabica et de 24,6 % pour le robusta en 2025. Cette envolée des prix s’explique, apprend-on, par un ensemble de facteurs structurels et conjoncturels. Les conditions climatiques défavorables au Brésil et au Vietnam, les deux premiers producteurs mondiaux, ont réduit l’offre disponible.
À cela s’ajoutent, indique le document du ministère des Finances, les perturbations logistiques liées aux tensions géopolitiques au Moyen-Orient et l’augmentation des coûts de production, notamment celle des engrais, un intrant essentiel pour les cultures de rente. C’est ainsi que l’équilibre entre l’offre et la demande se resserre, poussant les prix vers le haut sur les marchés internationaux.
Mais pour les producteurs africains, cette embellie apparente cache une réalité plus contrastée. Au Cameroun, la hausse des cours mondiaux ne se traduit pas par une amélioration notable des revenus paysans. Selon les projections de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), la production nationale de café devrait atteindre 17 600 tonnes en 2025, soit à peine 500 tonnes de plus qu’en 2024, mais toujours inférieure aux 20 500 tonnes enregistrées en 2023. Le contraste est saisissant si l’on remonte aux années 1990, où le pays produisait encore 130 000 tonnes par an. En 2025, la production prévue représenterait donc moins du septième de ce volume.
Selon l’analyse du ministère des Finances, cette érosion s’explique d’abord par le désintérêt progressif des planteurs. Malgré la flambée des cours mondiaux, les prix d’achat au producteur restent faibles. Au 1er octobre 2025, les cours officiels du café publiés par le Conseil Interprofessionnel du Cacao et du Café (CICC) confirment une stabilité relative sur les marchés. Le café Robusta s’échange à 2 361 FCFA le kilogramme CAF Londres et à 2 247 FCFA FOB Douala, tandis que les prix d’achat dans la zone de production du Mungo oscillent entre 1 800 et 2 000 FCFA le kilo.
De son côté, le café Arabica affiche des valeurs plus élevées, avec un prix CAF à 4 592 FCFA/KG et un prix FOB à 4 426 FCFA/KG. Ces données, issues d’une organisation de référence pour les filières nationales, reflètent les tendances du marché international (CAF Londres) et les conditions locales d’exportation (FOB Douala). Les marges les plus importantes sont captées en aval de la chaîne — par les exportateurs et les négociants internationaux — tandis que les producteurs locaux font face à des coûts de production croissants, à la rareté des intrants et à un accès limité au crédit agricole.
Dans certaines zones caféières, le vieillissement des plantations et la faiblesse des infrastructures rurales aggravent la situation. À cela s’ajoutent les effets du changement climatique, qui modifient les cycles de floraison et réduisent les rendements. Les fortes pluies, les sécheresses prolongées et la prolifération de maladies fongiques compromettent la régularité des récoltes. Ces contraintes réduisent la capacité du Cameroun à tirer parti de la hausse actuelle des cours mondiaux.
Le constat vaut également pour d’autres producteurs d’Afrique centrale et orientale, notamment l’Éthiopie et l’Ouganda, dont les volumes sont en croissance mais dont la part de la valeur ajoutée reste concentrée à l’exportation. Faute de transformation locale et de structuration des filières, les pays africains demeurent dépendants des fluctuations des marchés mondiaux.
Au Cameroun, les chiffres illustrent cette vulnérabilité. La production de 17 100 tonnes annoncées cette année dépasse à peine celle de 16 142 tonnes enregistrées lors de la campagne 2012-2013, alors qualifiée par l’Office national du cacao et du café (ONCC) de « plus mauvaise des cinquante dernières années ». Douze ans plus tard, la situation reste pratiquement inchangée malgré un contexte international porteur. La flambée actuelle des prix du café révèle ainsi une asymétrie profonde entre les marchés mondiaux et les réalités locales.
Pour les producteurs camerounais, l’opportunité demeure théorique tant que les politiques de soutien à la production, à la transformation et à la fixation des prix n’évoluent pas. L’enjeu ne réside plus dans la hausse des cours internationaux, mais dans la capacité du pays à restructurer sa filière caféière afin que la valeur créée à l’international se reflète enfin dans les revenus des planteurs.