
Dans un climat politique empreint de tensions, d’incertitudes et de controverses, le désormais ancien président de la République togolaise, Faure Essoazina Gnassingbé, a été investi, le 3 mai dernier, comme le tout-premier président du Conseil des ministres, en sa qualité de président du parti majoritaire à l’Assemblée nationale et en vertu de la nouvelle Constitution qui institue le régime parlementaire au Togo. Un parlementarisme de façade, est-on tenté de dire, d’autant qu’il est façonné sur mesure juste pour pérenniser un règne entamé, il y a deux décennies, en février 2005, quand l’ancien président Gnassingbé Eyadema s’était éteint en silence et en apesanteur, à bord de l’avion présidentiel qui le conduisait en urgence à Tel-Aviv pour soigner une angine coriace déclenchée par un œdème pulmonaire.
Le glissement vers un régime parlementaire, n’est pas forcément un prélude à un renouveau démocratique
Vingt ans après donc, Faure Gnassingbé réussit le pari osé de se dribbler tout en gardant le ballon, puisqu’il cède, par un tour de passe-passe constitutionnel, son fauteuil de président de la République devenu une coquille vide à l’octogénaire Jean-Lucien Savi de Tové, pour occuper celui du président du Conseil des ministres avec des prérogatives qui consolident son emprise sur les leviers de l’Exécutif. Ce basculement a été marqué par une cérémonie solennelle mais largement boudée par l’opposition qui dénonce un simulacre d’investiture d’un homme d’Etat dépourvu de toute légitimité populaire, et un chef-d’œuvre de recyclage politique à travers un régime dit parlementaire façonné sur mesure pour consacrer de facto l’instauration d’un pouvoir à vie qui répondrait aux aspirations de Faure Gnassingbé déjà en fonction depuis 2005. Le moins qu’on puisse dire, c’est que, par-delà les rites républicains et les envolées protocolaires, cette prestation de serment de l’homme aux pouvoirs exorbitants, restera aux yeux de ses concitoyens, comme un déménagement d’apparence : on change de façade ; on repeint la vitrine ; mais à l’intérieur, c’est toujours la même boutique familiale. Rien donc de nouveau sous le soleil de Lomé, sinon la confirmation d’un pouvoir éternel détenu par un chef d’Etat sans date d’expiration, par un roi républicain, si l’on ose l’oxymore. Car, si le décor change, le scénario lui, risque de rester tragiquement le même, puisqu’avec l’architecture institutionnelle actuelle, le peuple sera évincé du processus politique à partir du moment où le président Faure n’affrontera plus le suffrage universel direct. Pour tout dire, le glissement vers un régime parlementaire, n’est pas forcément un prélude à un renouveau démocratique, surtout dans un pays comme le Togo, et ce qui se dessine là-bas est plutôt une forme de monarchie républicaine, où le pouvoir se conservera au sein d’un cercle restreint à la tête duquel trône un président autoritaire et omniprésent.
Le malaise et la défiance pourraient venir de la société civile, des syndicats ou de la jeunesse togolaise
L’opposition, marginalisée et en perte de repères, risque de laisser un vide sur le terrain ; ce qui renforcera le pouvoir et pourrait le rendre indéfiniment reconductible. Le malaise et la défiance pourraient venir de la société civile, des syndicats ou de la jeunesse togolaise qui pourraient ruer dans les brancards en cas de violations massives des droits et des libertés. Le président du Conseil des ministres doit se le tenir pour dit, et bâtir subséquemment une République véritablement inclusive et pluraliste, au lieu de continuer à maintenir le Togo dans une sorte de stabilité autoritaire, même si cela lui a plus ou moins réussi jusqu’ici.
« Le Pays »